INTERVIEW Ibrahim Maalouf – THE RIGHT NUMBER MAGAZINE

On imagine cet homme qui marche entre les immeubles, des décors urbains, des buildings comme il rêvait, enfant, d’en bâtir pour recréer un « Beyrouth façon New York ». Un casque sur les oreilles et les mélodies traversent et s’emmêlent dans son esprit où ses compositions se forment, des notes entre Orient et Occident, électro, jazz, musique du monde… Inqualifiables et libres comme lui. 

Depuis son 1er album « Diaspora », quel chemin Ibrahim Maalouf a parcouru, quelle trajectoire, quelle perspective pour cet architecte qui chante les notes à travers son souffle. La 1ère fois où je l’ai vu jouer, j’étais le réalisateur du « Pont des Artistes » avec Isabelle Dhordain sur France Inter, Ibrahim Maalouf était l’invité de son ami Vincent Delerm en 2009 pour une émission carte Blanche. Vincent, qui a également débuté dans cette émission, l’avait choisi pour mettre en avant ce talent naissant. Quand il a commencé à jouer de la trompette (à 4 pistons, invention et héritage de son père) face au public du studio 105 de la Maison de la Radio, les mains sur la console de mixage, j’ai regardé l’ingénieur du son et nous nous sommes dit que cet artiste jouait sur des plans plus élevés que d’autres, il s’envolait avec son instrument ! 

INTERVIEW par Alexandre Joulia-Helou, rédacteur en chef-adjoint THE RIGHT NUMBER MAGAZINE.

THE RIGHT NUMBER MAGAZINE

Bonjour Ibrahim Maalouf.

Ibrahim Maalouf

Bonjour.

THE RIGHT NUMBER MAGAZINE

Vous n’avez cessé d’avancer, de faire des albums, de communiquer une énergie avec votre public et nous montrer un homme libre sur scène, avez-vous la sensation de chanter, de crier, de transmettre un message avec votre trompette ?

Ibrahim Maalouf

Tout d’abord, merci pour l’introduction, parce que ça me touche beaucoup. Merci, car il n’y a pas toujours ces antécédents quand je parle avec des journalistes pour des interviews. Les gens ne me connaissent pas forcément depuis si longtemps et ça me fait plaisir de pouvoir faire écho à Isabelle Dhordain que j’aime beaucoup et au « pont des artistes » qui était une émission que j’appréciais énormément. Oui, quand je décide à 22/23 ans de finalement faire de la musique comme métier, je me dis, tiens, j’ai un instrument entre mes mains qui va me permettre de voyager. Et effectivement, c’est ce que mon père a inventé et qu’il a depuis toujours appelé un pont entre la musique occidentale et la musique arabe. Un pont avec toutes les musiques du monde, pas musique du monde dans le sens la belle musique du monde, mais dans le sens musique du monde entier. C’est un instrument qui me permet vraiment de voyager sans limite et c’est quand même une chance et une richesse incroyable. Donc je m’en sers allègrement et avec beaucoup de joie.

THE RIGHT NUMBER MAGAZINE

En 2016, quel sentiment avez-vous ressenti quand vous avez joué devant une salle immense comme l’Accor Arena ? 

Ibrahim Maalouf

J’ai eu la chance de faire 3 Bercy, la première fois le 14 décembre 2016, l’Accor Arena c’est un moment absolument inoubliable parce qu’à cette époque là, personne, mais vraiment personne, ni dans le public, ni dans le milieu professionnel, ne s’imaginait qu’un trompettiste comme moi avait presque la légitimité de faire un concert dans un lieu aussi grand et aussi prestigieux avec autant de monde, presque 20.000 personnes.

Et tout le monde me disait : « mais t’es complètement fou de faire ça. Tu vas te ridiculiser parce que tu vas avoir 800, 1000 ou 1500 personnes qui vont venir comme à tes concerts en général et tu vas te retrouver comme un idiot avec une salle vide. La trompette c’est pas fait pour ça, la musique instrumentale c’est pas fait pour ça. Toi t’es un musicien instrumentiste, un jazzman. Tu dois pas voir trop gros, tu dois pas avoir la folie des grandeurs… ». Et je leur disais, mais c’est pas du tout pour ça que je fais ça, je fais un grand concert parce que j’ai envie, j’aime l’idée que la musique soit un prétexte, une très bonne raison pour qu’on s’unisse les uns et les autres, malgré nos différences, malgré nos convictions différentes, malgré nos goûts différents. Ce que j’aime moi dans mon public, c’est qu’il est familial, et donc, le jour où je monte sur scène je vois le public qui est là, égal à lui même, c’est à dire familial, avec toutes les générations, tous les styles, toutes les cultures face à moi. Pratiquement 20.000 personnes prêtes à faire la fête avec moi et j’en garde un souvenir comme un des plus beaux moments de ma vie et certainement un des plus beaux concerts de toute ma carrière d’artiste.

THE RIGHT NUMBER MAGAZINE

Aujourd’hui, dans quelles conditions vous composez vos musiques ?

Ibrahim Maalouf

La composition, c’est quelque chose que je pratique tout le temps en non-stop. Depuis tout jeune, c’est ce qui a fait de moi un musicien. Je passe mon temps à imaginer de la musique, j’expire et j’inspire des musiques que j’invente, donc la composition ça fait partie de mon écosystème quotidien. Le reste c’est de l’organisation, une fois que j’ai composé une musique, il faut réunir les musiciens pour l’enregistrer, pour faire des maquettes, il faut parfois écrire ses partitions, l’enregistrer en album, la jouer en concert, trouver les bons musiciens, etc. Mais là, le fait de composer c’est une discipline que je passe mon temps à faire du matin au soir et même la nuit !

THE RIGHT NUMBER MAGAZINE

Dans un monde où les guerres et les conflits reprennent, la musique vit et reste malgré tout, est-ce que la musique représente une forme de résistance pour vous ? 

Ibrahim Maalouf

Absolument, vous dites la musique reste malgré tout, moi je pense que la musique reste avant tout et surtout. C’est à dire qu’elle est un des seuls espoirs qui nous restent avec l’art en général, un des seuls espoirs qui nous reste pour réussir à nous trouver des points communs. Parce que la musique a ceci de magique, c’est qu’elle ne parle qu’aux émotions, aux sentiments et aux souvenirs, et donc c’est ce qui nous unit. Si on commence à parler politique on va être en désaccord, si on commence à parler architecture, on peut même être en désaccord, si on parle science, si on parle religion, même la littérature peut nous mettre en désaccord parce que les mots peuvent avoir des doubles sens.

Mais la musique et l’art, la peinture, la danse, tous ces arts où finalement ce n’est que l’émotion qui s’exprime, ils nous unissent intrinsèquement et inconditionnellement. Dans mon public par exemple, qui est familial, il n’y a aucune communauté. Il y a des gens qui sont d’origine arabe, d’autres qui ne le sont pas, des gens qui aiment le jazz, d’autres qui le détestent, des gens qui aiment la trompette, d’autres qui n’aiment pas du tout, des gens qui écoutent du hip hop ou du hard rock ou de la musique classique, de la musique baroque… Des gens qui sont de cultures religieuses très différentes de la mienne, toutes sortes de personnes et de toutes convictions politiques. Je me souviens d’une époque où j’avais même dit dans une interview dont j’étais fier, que s’il y avait dans mon concert des gens qui étaient d’extrême droite par exemple, complètement à l’opposé de mes convictions politiques, que j’étais ravi qu’ils viennent. Et on m’avait, je me rappelle, un peu tapé dessus quand j’avais dit ça. Mais au contraire, si en sortant de ce concert, ils ont ressenti les mêmes émotions que moi, ça nous a rapproché et il est possible qu’avec du temps justement, ça peut peut-être faire tordre leurs certitudes et nous amener à nous entendre. Donc, je pense que la musique a ça de magique, qu’elle peut nous sauver encore.

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Oui, elle est universelle. Vous me faites penser un peu à Abdel Halim Hafez qui a aussi avec sa musique ouvert les esprits et il ne voulait aucune frontière. Votre musique valorise ainsi la beauté de l’instant et c’est un moteur de nos jours qu’il faut cultiver.

Ibrahim Maalouf

Exactement. Et puis il y a aussi une chose que je ne souhaite pas oublier, c’est que la musique nous apprend à avoir de l’empathie, parce qu’en développant nos émotions et notamment en jeune âge, on est beaucoup plus sensible à la souffrance et à la douleur des autres. Et je pense que c’est cette empathie là qui nous manque terriblement et qui fait qu’on en arrive à des extrêmes comme ceux qu’on vit en ce moment, que ce soit en Ukraine, à Gaza ou même en France quand il s’agit d’élections. On a des gens qui donnent l’impression qu’ils en ont plus rien à faire, cette négligence de la violence relative, cet oubli de ce que peut être la souffrance. Moi, l’enfant qui est né pendant la guerre, je ne peux pas l’oublier et chaque jour je me sers de la musique pour pousser les gens à sentir des choses et à ne pas oublier qu’ils ont un cœur. Qu’ils sont eux aussi capables de ressentir la souffrance des autres et que c’est une nécessité pour ne pas blesser l’autre. C’est déjà un premier pas vers la paix.

THE RIGHT NUMBER MAGAZINE

Alors depuis l’album Diaspora, vos 3 albums DIA jusqu’à maintenant, que représente la notion du temps ?

Ibrahim Maalouf   

Oh là là, Diaspora, c’est un coffret que j’ai appelé DIA, mes 3 premiers albums, pour moi c’était un seul et même projet, mais qui était un peu divisé en 3 parties parce que j’avais pas les moyens de faire tout en même temps. Dia, étymologiquement, ça veut dire à travers et c’est ce qui m’intéresse le plus. Moi, c’est à travers l’espace, à travers le temps, à travers les hommes. Je fais partie de ces personnes qui sont en voie de disparition, dont la passion c’est d’aller chercher dans le grenier des vieilles cartes postales écrites à la main en 1884 et qui aiment bien se plonger dans l’histoire. Il y a quelque chose d’un peu cyclique du temps qui me fascine et j’ai beaucoup travaillé autour de ça.

Beaucoup de mes albums sont tournés autour de cette thématique, indirectement en tout cas, mais sur cette idée du cycle. Mon dernier album d’ailleurs, qui sort en septembre prochain, ne parle pratiquement que de ça, c’est à dire, de la transmission de la génération précédente à la génération d’après. Comment cette transmission se fait, comment on raconte les histoires, comment les histoires sont presque toutes les mêmes, mais qu’elles sont juste habillées différemment de siècle en siècle. La pochette de cet album, c’est la fanfare de mon village qui date de 1925, donc un siècle, et on voit mon grand-père à 20 ans dans cette fanfare. Et là, toute cette idée de la transmission du cycle et du temps sont des thèmes qui me sont très chers et qui me fascinent beaucoup d’ailleurs. Un des films qui m’a le plus marqué ces 20 dernières années, c’est le film de Christopher Nolan « Interstellar ». Quand on a ce type de réflexion on est forcément sensible au temps. Une seule chose sur laquelle tous les peuples du monde se sont tous accordés, c’est ce temps qui n’est pas négociable. La seconde est la même, que vous soyez au fin fond de la Mongolie, dans le sud du Chili, au nord de la Norvège, on a tous la même seconde et le monde s’est accordé dessus.

THE RIGHT NUMBER MAGAZINE

Un autre instant de votre vie … Je voulais savoir comment s’était passée votre rencontre avec Quincy Jones et les conséquences qu’il a eu sur votre carrière ?

Ibrahim Maalouf

La rencontre elle était géniale évidemment, c’était en 2017. Je venais de finir mon Bercy et dans l’entourage de Quincy, j’ai su plus tard que les gens se demandaient, « mais c’est qui ce trompettiste ? ». Parce que Quincy était trompettiste, lui aussi dans sa jeunesse, donc il a toujours gardé un œil assez attentif sur ce qui se passait dans le jazz et dans le monde de la trompette. Donc, son entourage se demandait qui était ce trompettiste là, plus ou moins assimilé jazz, qui remplit des Accor Aréna et dont on n’a jamais entendu parler aux États-Unis. Progressivement le bruit est arrivé à ses oreilles et puis il est venu m’écouter en concert au festival de Jazz de Montreux, il a adoré le concert, on s’est parlé après et il m’a dit qu’il aimerait m’aider pour qu’aux États-Unis on apprenne à me connaître. Et c’est devenu mon manager aux USA et son équipe s’est occupée de moi depuis 2017 jusqu’aujourd’hui.

THE RIGHT NUMBER MAGAZINE

Votre étonnant parcours, comment le vivez-vous ? 

Ibrahim Maalouf

C’est dingue. Mais je sais que ça peut paraître étonnant, mais moi, quand j’étais petit, je rêvais pas forcément de faire ce métier. Parce que mon père lui-même faisait ce métier de manière très humble et qu’il était mon exemple. Ce que vivait mon père ne me faisait pas du tout rêver, il s’est servi de la musique pour sortir de la misère. Il a eu un poste de prof à Étampes, dans l’Essonne, pendant 40 ans, c’est ce qui lui a permis d’acheter une petite maison. Ma mère était prof de piano, on avait pas du tout d’argent quand on était enfant à étampes, et justement mon père s’était saigné pour avoir une maison pour qu’on ne vive pas en HLM. Du coup on avait rien, on allait jamais au resto, on sortait jamais, on avait pas de sorties ou des trucs un peu fous comme Disneyland.

On n’avait pas l’argent pour ça. Je sais que ça fait bizarre aujourd’hui de dire ça, mais moi, la première fois que j’ai acheté des habits, j’avais 13 ans, 14 ans, parce que tous les habits qu’on avait, c’était ceux des élèves de mes parents. Attention ! Je veux pas non plus faire pleurer dans les chaumières, mais on a été élevé, ma sœur et moi, dans une forme assez relative de petite pauvreté. Ce qui fait que moi, ce que mon père faisait, c’était ça finalement, c’était être prof, être trompettiste, faire des concerts et vivre dans une forme de pauvreté quand même. Donc ça ne me faisait pas rêver, c’était pas du tout ça que j’avais envie de faire.

Et quand j’étais petit, je voulais être architecte, je voulais reconstruire Beyrouth, je voulais, vous l’avez dit, participer à quelque chose de beaucoup plus grand, je voulais être utile. Donc, tout ce qui s’est passé depuis que j’ai commencé à faire de la musique de manière beaucoup plus sérieuse, ce n’est qu’une succession de choses complètement dingues. Des rencontres que je vis avec une certaine philosophie, comme un cadeau, j’ai beaucoup de chance et j’ai jamais considéré que c’était acquis. Je sais la chance que j’ai quand je rencontre Sting qui me demande de jouer avec lui, ou avec Angélique Kidjo, des moments comme ça, je sais la valeur de tout ça. Je me dis « Waouh » quelle chance et je vais le vivre à fond !

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On parlait de pont tout à l’heure, et quand je vous entends et que je vois la tournée mondiale que vous faites en ce moment, avec plus de 50 dates, notamment aux États-Unis, au Canada, etc. Je me dis que le rêve américain de cet enfant qui voulait rebâtir une nouvelle ville à Beyrouth, ce rêve de New York, quelque part, c’est ce pont qui est en train de se construire ?

Ibrahim Maalouf

Écoutez, moi j’ai cette sensation. J’ai cette phrase que je dis de temps en temps quand je parle de ces sujets là et qu’on évoque mon rêve d’architecte quand j’étais jeune. Je n’’ai pas fait d’architecture parce que très vite au lycée on m’avait dit : « Bah tu dessines mal, donc tu ne pourras pas ». Alors que c’est absurde, parce qu’aujourd’hui on peut être architecte en dessinant sur des logiciels. Donc, j’aurais tout à fait pu me lancer dedans mais je dessinais vraiment pas très bien ! À défaut d’avoir participé à construire les environnements dans lesquels on vit, j’ai l’impression de participer à construire le monde dans lequel on vit quand on a les yeux fermés, de créer quelque part une sorte d’environnement sonore, musical et émotionnel, qui nous permet de rêver avec un peu de chance à un monde meilleur, de rêver en tout cas. 

THE RIGHT NUMBER MAGAZINE

Vous êtes un artiste qu’on connaît pour casser les codes et justement nous étonnez dans plusieurs titres avec le DJ français Mercer. Est-ce que vous-vous orientez plus vers de l’électro ?

Ibrahim Maalouf

Ah il n’y a pas une direction en particulier, il y en a plusieurs. L’électronique en fait partie parce que ça me fascine.   

THE RIGHT NUMBER MAGAZINE

Je pensais à « The Ibrahim Maalouf Electronic Experience ».

Ibrahim Maalouf

Oui, c’est un projet que j’ai monté avec Mercer où j’avais vraiment envie de tenter l’aventure de l’électronique. Mais parce je la trouve fascinante. Toute la notion du temps, on en parlait tout à l’heure. Ce qui est étonnant dans la musique électronique c’est ce mélange entre quelque chose d’intemporel et à la fois quelque chose de très à la mode.

Ce rythme, cette Trance dans laquelle on est, me font beaucoup réfléchir à la Trance quand on est dans le ventre de sa mère et dont on ne sait pas grand chose encore, de ce qui va se passer quand on va sortir. Mais il y a un truc qui est sûr, c’est qu’on a notre corps qui vibre sur le rythme du « Boubou Boubou Boum Boum », comme ça pendant 9 mois et on n’a jamais connu autre chose que ça et on nait avec. Et je me dis, il y a quelque chose de maternel, il y a quelque chose d’inné en nous qui va vers ce truc là. Alors, je me suis dit, tiens, c’est peut être le moment pour moi d’aller chercher, explorer un peu, voir ce que j’ai à faire moi aussi dans ce monde là, le temps d’une expérience en tout cas, et c’est fascinant.

THE RIGHT NUMBER MAGAZINE

En parlant d’expérience, vous avez joué jusqu’à fin mars, au côté de Thibault de Montalembert dans la pièce de théâtre « Un homme qui bois rêve toujours d’un homme qui écoute ». Qu’avez-vous ressenti lors cette nouvelle expérience d’acteur ?

Ibrahim Maalouf

Oui c’était nouveau ! Vraiment, je ne me voyais pas du tout faire ça, mais Denis Chanel, qui m’a mis en scène et qui a écrit la pièce, m’a fait une confiance aveugle comme on dit, et il y croyait même plus que moi que je pouvais éventuellement être sur scène et faire du théâtre. Je n’y croyais pas trop, Thibault de Montalembert également a été hyper bienveillant avec moi, il m’a beaucoup aidé, il a été vraiment génial. Du coup, j’ai vécu ça avec beaucoup de bonheur et je me suis un peu surpris moi-même. J’ai toujours pensé que je n’avais pas la mémoire du texte, que c’était pas fait pour moi. J’ai la mémoire pour la musique, je peux mémoriser des heures et des heures de musique et d’harmonie sans partition, par contre, les textes j’avais jamais essayé et je pensais vraiment pas que c’était mon truc. De l’interpréter aussi, d’être capable de me mettre dans la peau de quelqu’un d’autre. Je suis quelqu’un qui, par exemple, ne s’énerve jamais dans la vie, j’ai tendance à contrôler beaucoup mes nerfs et je vis dans une forme de stabilité émotionnelle qui est plutôt agréable, mais là, je devais jouer un personnage qui, à un moment donné, sort complètement de ses gonds et vraiment c’est pas mon truc !  Et il a fallu que je me fasse un peu violence pour réussir. Pour moi, c’était un vrai saut dans le vide, cette expérience de me lâcher comme ça, de me lancer dans quelque chose de différent, une vraie belle expérience.

THE RIGHT NUMBER MAGAZINE

Vous lancer votre marque de trompette d’étude avec « Trumpet of Michel-Ange » (TOMA), et on ressent en vous un désir de création, je pense par tous les moyens possibles. Est-ce que vous avez envie d’utiliser d’autres arts que la musique ? De peindre, de jouer, de faire un film pourquoi pas ?

Ibrahim Maalouf

En fait, ce que je trouve passionnant dans nos métiers, c’est cette créativité qui nous rend libres et qui nous aide à ressentir des choses. Et moi j’ai besoin de me sentir vivre comme ça. Après, il y a peut être des sportifs qui arrivent à vivre ce genre de choses en faisant des sports extrêmes, en sautant dans le vide, des trucs de ce genre pour se sentir vivre. Mais bon moi j’ai besoin de sécurité, d’avoir les pieds sur terre quand même, mais de me sentir vivre à travers une expérience qui sort un peu de notre quotidien. Ce qui nous permet systématiquement d’être dans l’apprentissage de quelque chose de nouveau, pour ne jamais s’en s’ennuyer, et faire face à l’imprévu. Cette une forme de résilience comme ça, que l’art nous apprend, que tout ce qui est lié à la créativité nous apprend. Voilà l’impact que ça a sur ma vie ou sur mes élèves. Quand j’ai créé ma classe au conservatoire de Paris, la classe d’improvisation pour les étudiants classiques, j’ai vu l’impact que ça a eu sur leurs vies. Je me dis, mais il faut vraiment que ça devienne une forme de philosophie cette histoire, et pas juste la pratique d’une discipline. Et bien, tout ce monologue pour vous dire qu’à partir du moment où j’ai eu l’impression que dans la musique, ça y est, c’est devenue vraiment une sorte d’art de vivre pour moi. J’ai envie de le pratiquer sur d’autres choses, en me lançant dans d’autres disciplines, dans d’autres mondes que je ne connais pas forcément. Et vous avez raison, moi j’en parle pas, mais j’écris beaucoup, je dessine, je peins un peu, même si je dis que je dessine mal, ça ne m’empêche pas d’essayer de le faire. Le cinéma peut-être un jour, je n’en sais rien, mais j’aime cette idée qu’en fait c’est illimité et qu’on ne s’ennuie jamais. 

THE RIGHT NUMBER MAGAZINE

C’est drôle parce que j’ai cette image de vous que je comprends mieux, d’un enfant architecte qui demeure toujours en vous. Le côté « avoir les pieds sur terre » qui dessine les fondations d’un gratte-ciel, et il porte bien son nom, on va gratter le ciel, on monte par l’ascenseur pour aller dans les nuages. Se mettre en danger, atteindre un vertige, ce qui est propre à l’artiste pour avoir cette notion de création. D’ailleurs, j’avais écrit une dernière question qui est presque une fin d’interview, où je disais : 

« J’ai le sentiment que vous, enfant exilé du Liban, vous-vous êtes envolé par la force des choses, mais grâce ou avec l’instrument de votre père, la trompette, vous avez réussi à crier une liberté, une humanité, un mélange des genres, une sorte d’ambassadeur qui abolit les frontières en se déplaçant tel le souffle du vent qui parcourt le monde. Je me disais, seriez-vous le zéphyr de la musique ? »

Ibrahim Maalouf

C’est très gentil en tout cas de dessiner les choses un peu de cette manière-là, parce que moi je n’ai pas de recul sur moi, mais ce qui est sûr c’est que j’ai une très forte conviction que quelque part tout ça ne sert pas à rien. Vous parliez de gratte-ciel, évidemment cette image me parle beaucoup parce que je rêvais des gratte-ciels à Beyrouth, et quand j’étais petit, je prenais des images très très lointaines des grands immeubles de Beyrouth. Sauf qu’on ne voyait pas avec la distance qu’ils étaient complètement défoncées par les obus. On voyait simplement les immeubles de loin, je prenais ces photos de l’avion, des silhouettes, quand j’arrivais au-dessus de la ville.

Et moi je montrais ça à mes amis et je leur disais : « Regardez, c’est comme New York le Liban, c’est comme ça, c’est beau comme ça », et j’ai créé cette sorte d’idéal dans ma tête en me disant : « Bon bah, va falloir que j’assume quoi quand je serai grand ? C’est ça que je voudrais faire ». Et donc je rêvais de ces buildings dans ma chambre, je dessinais les tours jumelles du World Trade Center.

Ma mère et mon père, ma soeur étaient désespérés parce que je dessinais sur les murs, je faisais des gros collages de papier avec des carreaux, comme ça… Et quand en 2001, le 9 septembre, moi j’étais censé aller visiter ces tours, je devais aussi faire un concours de trompette à Washington que j’avais préparé pendant un an et je me suis dit : « c’est génial quoi, je vais pouvoir à la fois faire ce concours et en même temps visiter New York et voir ces tours qui me faisaient tant rêver quand j’étais petit ».

Et malheureusement, il y a eu les attentats du World Trade Center, et les deux tours se sont effondrées. Quand je me suis retrouvé 6 mois jour pour jour après les attentats, j’étais à Ground Zero, et j’ai eu un assez gros choc émotionnel. Je me souviens avoir été frappé par une très très forte émotion, comme un appel. Quelqu’un d’un autre genre vous dirait spirituellement qu’ils ont entendu une voix leur dire : « Il est temps que tu passes à la musique en fait, de manière définitive et professionnelle. Et que tu me reconstruises le monde autrement et peut-être quelque chose que personne ne viendra détruire ». Et je me souviens avoir été happé par ce sentiment très fort, qui me disait d’oublier cette histoire d’architecture. Un, t’es pas doué pour le dessin, et deux, tu viens de gagner un concours qui prouve que t’es fait pour aller faire de la musique et de la trompette. Et en plus, c’était un concours américain, moi j’étais le petit français outsider… Je me suis dit, là il y a un signe quand même derrière tout ça, et je sentais bien que tout ce que j’allais pouvoir construire à travers la musique, personne allait pouvoir mettre une bombe dedans. Moi on peut me faire du mal, on peut prendre un CD et le casser, mais la musique, elle, quand je compose une mélodie, personne ne peut me l’enlever. Cette mélodie, personne ne peut la détruire ou la déformer, et ça restera une mélodie qu’on écoute, comme le Boléro de Ravel, par exemple. Alors oui, J’ai de l’ambition par rapport à ça, je vois grand, je me dis tiens, il faut faire de grandes et belles mélodies que les gens gardent bien en tête et qu’ils partagent tous ensemble de manière humaine et forte. Voilà, ça, on ne pourra pas nous l’enlever, ça restera et je pourrais au moins le léguer à mes enfants et peut être à leurs petits enfants… Donc, je me souviens très très bien le jour où j’ai ressenti ce sentiment, c’était 6 mois jour pour jour, c’était le 09 mars 2002, j’étais à Ground Zero devant toutes les fleurs et les hommages qui étaient en train d’être rendus aux victimes. 

THE RIGHT NUMBER MAGAZINE

Et depuis vous bâtissez un monde musical que vous pouvez transmettre plein de gratte-ciels complètement imaginaires. Merci infiniment Ibrahim. On vous retrouve toute l’année 2024 pour cette magnifique tournée qui a déjà débuté au Canada, aux États-Unis, au Japon, tout l’été en France, en Europe, ainsi que la sortie de votre album « Trumpets of Michel-Ange » le 20 septembre.

Ibrahim Maalouf      

Oui, il est en précommande sur mon site et il y a aussi le dernier concert que j’ai fait à Bercy en live, « Capacity to love » qui sort également fin juillet en audio.

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Et puis on peut retrouver la vente de vos places de concert sur votre site internet. Encore merci.

Ibrahim Maalouf 

Merci à vous pour cette rencontre bienveillante.

Merci beaucoup à Ibrahim Maalouf pour cet échange passionnant et profondément humain.

Site internet pour réserver vos places de concert : https://www.ibrahimmaalouf.com/

Ibeshop : https://ibeshop.ibrahimmaalouf.com/

INTERVIEW par Alexandre Joulia-Helou, rédacteur en chef-adjoint AMILCAR MAGAZINE GROUP & THE RIGHT NUMBER MAGAZINE.

Crédits photos : @odieuxboby © Yann Orhan – © Ibrahim Maalouf – © Mi’ster ProductionsMercury Records

Sélection : 

  • Alexandre Joulia-Helou, rédacteur en chef-adjoint & photographe AMILCAR MAGAZINE GROUP & THE RIGHT NUMBER MAGAZINE.
  • Rachel Joulia-Helou, rédactrice en chef AMILCAR MAGAZINE GROUP & THE RIGHT NUMBER MAGAZINE.

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